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Pourquoi assister à un marathon de speedrun ?

Le 3 novembre 2024, je me suis rendu à la quatrième édition d’Interglitches afin de récolter des données auprès de celleux qui se rendent sur place pour assister au marathon caritatif. Dans ce billet, je propose une exploitation partielle et toujours en cours de traitement de ces données.

Qu’est-ce qu’Interglitches ?

Interglitches est un marathon caritatif où des dizaines de speedrunneur·euses se relayent pendant plusieurs jours pour terminer rapidement des jeux vidéo et lever des fonds pour l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière (ICM). Le marathon a lieu dans les locaux de l’ICM, sur le site de l’hôpital de Pitié-Salpêtrière à Paris. Lors de la quatrième édition, qui s’est déroulée du 1er au 3 novembre 2024, j’ai procédé à une récolte de données pour comprendre pourquoi les gens se déplacent et viennent assister physiquement à cet événement.

Ce travail s’inscrit dans la continuité de ce que nous avons entrepris avec Fanny Barnabé (ma directrice de thèse) en août et septembre 2022. Nous avions alors demandé à des participant·es de SpeeDons 2 (speedrunneur·euses, commentateur·rices, ambianceur·euses et reviewer·euses) de nous expliquer, entre autres, pourquoi iels participent à l’événement ? Là, c’était la même chose mais du côté du public.

Je livre ici mes premières analyses mais le constat pourrait tenir en une phrase : les marathons offrent une dimension sociale à la pratique du speedrun qui est extrêmement prisée par les informateur·rices.

Les données socio-démographiques

Les données socio-démographiques tendent à montrer plusieurs choses. Premièrement, le public d’Interglitches est composé de jeunes adultes. La moyenne d’âge des 42 personnes interrogées est de 31 ans. Deuxièmement, une grande majorité d’entre eux ne vient pas d’Île-de-France et a fait le déplacement pour venir assister à l’événement. Ils sont un peu plus de 71% dans cette situation soit pratiquement les trois-quarts. Troisièmement, le rapport qu’iels entretiennent avec le jeu vidéo est sans appel. En fait, à l’exception de deux personnes qui déclarent jouer aux jeux vidéo “occasionnellement” (donc quelques fois par mois), toustes déclarent jouer plusieurs fois par semaine. De même — et quatrièmement — pour leur rapport avec la pratique du speedrun. Seulement cinq d’entre elleux déclarent ne pas speedrunner. En revanche, les 37 autres qui déclarent speedrunner se répartissent presque équitablement entre “rarement” (13), “occasionnellement” (12) et “fréquemment” (12). Enfin, et cinquièmement, 14 informateur·rices expliquent venir pour la première fois à Interglitches ce qui représente un tiers des sondés.

Si je reprends les cinq personnes qui déclarent ne pas speedrunner, quatre d’entre elleux viennent pour la première fois à l’événement : INF09 ; INF18 ; INF35 et INF40. Seul·e INF18 a déjà suivi Interglitches en ligne, sur Twitch, au moins une fois. Sur les 42 personnes interrogées, seulement trois (INF09 ; INF35 et INF40) viennent pour la première fois sans avoir jamais suivi un quelconque événement organisé par Le French Restream (Interglitches et/ou Bourg-la-Run).

En résumé, Interglitches attire un public de jeunes adultes et dont le jeu vidéo constitue une part importante de leurs loisirs. Si l’événement semble attirer de nouvelles personnes chaque année, ces dernières restent majoritairement très familières de la pratique puisqu’iels pratiquent elleux-même. C’est l’enseignement principal des données socio-démographiques.

Pourquoi venir à Interglitches ?

Alors, pourquoi les gens viennent ? Qu’est-ce qu’iels attendent d’Interglitches ? Voici la question exacte que j’ai posée à mes informateurices : Pourquoi avez-vous décidé·e de venir à Interglitches 2024, que recherchez-vous dans cet événement ? 34 réponses sur 42 mentionnent un aspect social : “rencontrer des gens” INF10 et INF37 ; “je cherche à tisser plus de liens avec la communauté” INF02 ; “un moyen de me connecter en présentiel avec la communauté de LFR” INF13  ; “retrouver beaucoup d’amis” INF12 ; “les retrouvailles avec les ami.e.s” INF03 ; “avoir du fun avec gens qui partagent les mêmes passions que moi” INF11 etc. Un autre aspect qui revient un peu c’est l’aspect pédagogique. C’est plus difficile d’identifier ces réponses mais à partir du moment où le principe de transmettre quelque chose est évoqué, j’ai intégré la réponse dans la catégorie pédagogie. Pour l’instant, j’en ai identifié 7 sur 42 : “faire découvrir [un jeu de société]” INF04 ; “présenter des jeux intéressants à travers mes performances” INF12 ; “découvrir de nouveaux jeux” INF11 ; “ça motive de fou à apprendre de nouvelles runs” INF29 ; “montrez [un jeu speedrunné à l’événement]” INF25 etc.

Note : les passages entre crochets permettent de garantir l’anonymat des informateurices.

De cette simple question “Pourquoi avez-vous décidé·e de venir à Interglitches 2024, que recherchez-vous dans cet événement ?”, l’enseignement principal est que le public physique se saisit d’Interglitches pour en faire un moment essentiellement social autour d’une passion commune qu’est le speedrun. Interglitches est une forme de médiation culturelle — mettre en relation des individus autour d’une pratique célébrant un objet culturel — dont la finalité, pour le public physique, est d’abord sociale puis pédagogique. Rappelons que 71% des personnes interrogées ne viennent pas d’Île-de-France et font le déplacement pour assister à l’événement. Interglitches représente un véritable enjeu social dans un contexte où la majorité des échanges communautaires se fait par écrans interposés. Ce rassemblement permet aux participant·es de se rencontrer physiquement, d’associer une voix, un visage ou un corps à des pseudonymes, et ainsi de renforcer les liens sociaux et le sentiment d’appartenance à une communauté. Cette dimension humaine et tangible donne également du sens à la pratique du speedrun, en ancrant l’expérience vidéoludique dans une réalité partagée, co-construite.

Et après ?

Je pourrais exploiter d’autres données et je n’ai fait que gratter la surface, mais c’étaient les deux enseignements que je voulais mettre en avant, car ils suscitent une véritable interrogation. En effet, Interglitches n’attire pas un public physique cherchant à découvrir le speedrun, mais plutôt un public déjà initié et expérimenté, mature et désireux de créer du lien social autour d’une passion commune. Cette observation soulève, selon moi, une question cruciale : dans quelle mesure les marathons de speedrun sont-ils capables de renouveler ou d’élargir la communauté des acteur·rices du speedrun, en attirant de nouveaux·elles venu·es tout en conservant leur rôle de point de ralliement pour les passionné·es existant·es ? Cette interrogation ouvre la voie à une analyse plus approfondie de l’impact de ces événements sur la pérennité et l’évolution de la communauté qu’il est encore difficile de mesurer aujourd’hui.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sacha Bernard (15 février 2025). Pourquoi assister à un marathon de speedrun ? Blog-Assisted Research. Consulté le 12 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13bqv


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